Les réseaux sociaux connaissent une mutation significative. Alors qu’ils étaient autrefois conçus comme des plateformes d’expression publique, la tendance actuelle montre une préférence croissante des utilisateurs pour les « réseaux sociaux privés » : messageries directes, groupes fermés, voir stories éphémères et plateformes de discussion plus confidentielles comme Discord, WhatsApp ou Telegram. Cette transformation impacte directement les stratégies de communication et de gestion de l’e-Réputation des entreprises.
Cette tendance s’est particulièrement accentuée depuis la crise du COVID-19, où les interactions sociales se sont intensifiées sur les réseaux sociaux privés. Nous avons observé cette mutation au sein du groupe SNCF dans les comportements des voyageurs sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, les entreprises doivent repenser leur approche.
La montée en puissance du Dark Social
Le « Dark Social » désigne les réseaux sociaux privés, là où les interactions ont lieu en dehors des espaces publics traditionnels des réseaux sociaux. Les utilisateurs préfèrent partager du contenu via des canaux privés (messageries, emails, groupes fermés), ce qui rend plus difficile la veille web et le suivi des campagnes de communication. Cette tendance est stimulée par une volonté des citoyens/internautes de contrôler leur image en ligne et d’éviter les débats publics parfois houleux.
Le cas SNCF
Depuis 2020, SNCF Voyageurs a vu une transformation dans les interactions avec ses clients sur les réseaux sociaux. Les discussions publiques sur Twitter/X et Facebook ont laissé place à des demandes via Messenger et WhatsApp, obligeant nos centres de relation client et nos équipes de Community Management à adapter leur approche et à proposer des réponses plus individualisées. Les voyageurs veulent une interaction plus directe, plus rapide et, surtout, plus confidentielle.
Conséquences pour les stratégies de communication
Les entreprises doivent repenser leur manière d’interagir avec leurs audiences. Plusieurs ajustements stratégiques s’imposent :
- Prioriser les interactions en petit comité : L’engagement direct dans des groupes privés ou communautés ciblées (comme les groupes Facebook) permet de renforcer la proximité avec les clients.
- Investir dans le conversationnel : Les chatbots et les services client de SNCF Connect via WhatsApp ou Messenger deviennent essentiels pour maintenir une relation personnalisée.
- Miser sur l’authenticité : Le format des stories et des contenus éphémères permet une communication plus spontanée et engageante, adaptée à ces nouveaux espaces.
L’exemple SNCF : une stratégie adaptée
SNCF Voyageurs a mis en place un système de communication plus privé, en répondant directement aux voyageurs via WhatsApp et Messenger. L’objectif était de désamorcer les tensions en offrant une réponse immédiate et personnalisée. De plus, les programmes d’ambassadeurs internes ont permis de faire passer les messages clés dans des cercles de confiance.
Impact sur la gestion de l’e-Réputation
Avec la privatisation des conversations, il devient plus complexe de surveiller ce qui se dit sur une marque. Toutefois, plusieurs solutions existent :
Mise en place d’outils de social listening pour les réseaux sociaux privés
Pour pallier le manque de visibilité des discussions sur les réseaux sociaux privés, les entreprises peuvent utiliser des outils avancés de social listening tels que Brandwatch, Talkwalker ou Meltwater. Ces solutions permettent d’analyser les tendances des conversations publiques sur les réseaux sociaux, les forums et les blogs, tout en identifiant des signaux faibles pouvant suggérer des discussions dans des espaces privés. Par exemple, une augmentation soudaine des mentions d’un produit ou d’un problème sur Twitter/X peut indiquer une activité importante dans des groupes fermés ou des messageries.
Ces outils permettent également de détecter les thématiques récurrentes, d’identifier des ambassadeurs ou des détracteurs et d’adapter la communication en conséquence. Bien que le « Dark Social » reste difficile à mesurer directement, les entreprises peuvent compenser ce manque de données en encourageant des interactions plus ouvertes et en analysant les tendances issues des canaux accessibles.
Encourager les feedbacks directs
Dans un environnement où les utilisateurs préfèrent interagir de plus en plus sur les réseaux sociaux privés, il devient crucial pour les entreprises d’inciter leurs clients à donner des retours directs plutôt que d’exprimer leur insatisfaction publiquement.
Pour cela, plusieurs stratégies peuvent être mises en place :
- Mise en avant des canaux privés : Proposer des moyens simples et accessibles pour laisser un avis, comme des formulaires directement intégrés aux applications, des QR codes menant à un chatbot, ou des invitations via email et SMS.
- Récompenses et incitations : Offrir des avantages comme des remises, des points de fidélité ou des avant-premières aux clients qui laissent un feedback constructif.
- Interaction personnalisée : Répondre rapidement aux retours en privé, en montrant aux clients que leur avis est pris en compte. Un service client réactif via WhatsApp, Messenger ou email peut transformer une expérience négative en une relation de confiance.
- Utilisation des feedbacks pour améliorer l’offre : Les commentaires reçus doivent être analysés et transformés en actions concrètes (ajustements de produits, modifications de services, etc.).
Cette approche contribue à renforcer la relation client, à prévenir les crises et à favoriser une image positive de l’entreprise sans exposer les retours négatifs sur des espaces publics.
Anticiper les bad buzz
Les centres de relation client et les équipes en charge de la communication de crise sur les réseaux sociaux doivent intégrer une surveillance proactive des discussions sur les réseaux sociaux privés avec la marque et une réponse rapide pour prévenir une amplification publique. Anticiper un bad buzz repose sur plusieurs actions stratégiques :
- Surveillance des signaux faibles : Utiliser des outils de social listening pour identifier en amont les tendances négatives émergentes, y compris sur des canaux fermés où les plaintes et critiques peuvent circuler avant de devenir publiques.
- Identification des influenceurs et relais d’opinion : Savoir qui sont les principaux relais d’information dans les communautés concernées permet d’agir rapidement en cas de propagation d’un message négatif.
- Mise en place d’une cellule de crise social media : Une équipe dédiée doit être prête à intervenir rapidement pour analyser la situation, coordonner la communication et définir la meilleure réponse.
- Communication transparente et rapide : Lorsqu’un sujet sensible commence à émerger, il est crucial de répondre rapidement avec des éléments de langage clairs et honnêtes pour éviter que la situation ne dégénère.
- Engagement direct en privé : Privilégier un contact discret avec les utilisateurs mécontents permet souvent de désamorcer une crise avant qu’elle ne prenne de l’ampleur. Même sur les réseaux sociaux privés.
- Scénarios de gestion de crise : Préparer des protocoles pour différents types de bad buzz afin de réagir efficacement sans improvisation. Ces scénarios doivent inclure des réponses adaptées aux différents niveaux de gravité.
- Formation des équipes : Sensibiliser et former les opérateurs de relation client et les Community Managers aux bonnes pratiques pour détecter et gérer rapidement les crises potentielles.
En combinant veille web, anticipation et communication ciblée, les entreprises peuvent mieux gérer leur e-Réputation et limiter l’impact négatif d’un bad buzz avant qu’il ne devienne incontrôlable.
Vers une redéfinition de l’influence digitale
L’e-Influence ne se joue plus uniquement sur les comptes ultra-visibles. Les micro-communautés gagnent en importance, et le marketing d’influence doit s’adapter à ce nouveau paradigme :
- Les communautés internes : Les employés et collaborateurs des entreprises font déjà partie de nombreux groupes de discussion sur les réseaux sociaux privés. Ils peuvent jouer un rôle clé dans l’influence digitale de leur organisation. En les impliquant dans la communication de l’entreprise via des programmes d’ambassadeurs, ils deviennent des relais de confiance et contribuent à la diffusion d’un message authentique. Ces communautés internes permettent également de mieux gérer l’e-Réputation en identifiant rapidement les tensions et en y répondant de manière coordonnée.
- Collaboration avec des micro-influenceurs ayant une audience fidèle et engagée dans des espaces restreints (souvent un seul réseau social).
- Création de contenus exclusifs accessibles seulement via des canaux privés.
- Mise en place de programmes d’«ambassadeurs clients » pour engager les clients directement dans la promotion des marques.
SNCF et l’influence digitale
Dans cette optique, nous avons développé au sein du groupe SNCF un réseau d’ambassadeurs internes (Employee Advocacy), composé de cheminots actifs sur l’ensemble des réseaux sociaux, qui diffusent du contenu authentique et relayent la voix de l’entreprise de manière plus personnelle et engageante.
Conclusion
L’évolution des réseaux sociaux vers des espaces plus privés impose aux entreprises une profonde remise en question de leurs stratégies de communication et d’influence. Face à des internautes qui privilégient la discrétion et les interactions en cercle restreint, il devient crucial d’adopter une approche plus humaine, personnalisée et conversationnelle.
Les marques doivent renforcer leur présence sur les canaux privés, développer des relations de proximité avec leurs audiences et encourager les échanges directs avec leurs clients et partenaires. L’écoute active, via des outils de social listening et l’implication des communautés internes, s’avère essentielle pour anticiper les tendances et désamorcer les crises.
Enfin, cette mutation représente une opportunité unique de repenser l’engagement digital en mettant l’accent sur l’authenticité, la transparence et la création de véritables espaces de confiance. L’avenir de la communication d’entreprise ne repose plus uniquement sur la visibilité publique des messages, mais sur la capacité à instaurer un dialogue sincère et à fédérer des communautés engagées, même dans l’ombre des « réseaux sociaux privés« . La transition vers les canaux privés oblige les entreprises à adapter leurs stratégies digitales. L’authenticité, l’interaction directe et la veille web adaptée sont les nouvelles clés pour rester pertinent dans un monde où la visibilité publique n’est plus la norme.
L’expérience que nous vivons au sein du groupe SNCF illustre parfaitement cette mutation : une communication plus ciblée et discrète, des réponses individualisées et un travail d’anticipation constant pour nous adapter aux nouvelles attentes des utilisateurs et aux évolutions de la communication sur le web.
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