Comment une marque comme la SNCF, qui génère l’un des plus forts volumes de mentions sur Internet en France, pilote-t-elle sa présence sur les réseaux sociaux ?
J’ai eu le plaisir d’échanger avec Antoine Khaitrine et Adrien Krebs de Licter dans leur podcast consacré à l’analyse des données issues des réseaux sociaux. Une discussion passionnante sur les coulisses de la gestion de la réputation numérique au sein de la Social Room SNCF, dans un contexte où la marque de l’entreprise ferroviaire est l’une des plus mentionnées sur Internet en France et en Europe.
10 ans de transformation digitale et une organisation structurée autour des réseaux sociaux
Depuis plus de 10 ans, la SNCF a opéré une transformation profonde sur le digital, initiée dès 2009 avec la création des premiers comptes sur Twitter. À l’époque, tout restait à inventer. Les réseaux sociaux étaient encore méconnus dans la majorité des grandes entreprises, et la communication en ligne se construisait sur l’expérimentation.
Petit à petit, l’organisation s’est structurée avec la mise en place d’une social room en 2016. Ce lieu stratégique a réuni en un même espace :
- Des Community Managers (CM), pour gérer l’interaction avec les voyageurs et répondre aux sollicitations sur les réseaux sociaux.
- Des Data Analysts, pour suivre en temps réel l’évolution des mentions et détecter les signaux faibles.
- Des graphistes, pour produire rapidement des contenus adaptés aux besoins des CM.
Objectif : être capable de réagir immédiatement face aux pics de mentions, aux incidents, ou aux crises, sans lourdeurs organisationnelles. Ce modèle de social room, qui favorise la transversalité et la réactivité, a été pionnier en France et s’est imposé comme une référence dans l’univers des entreprises de service et transport.
Une nouvelle organisation depuis la réforme ferroviaire de 2018
La réforme ferroviaire de 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, qui a donné naissance à plusieurs sociétés anonymes distinctes au sein du Groupe SNCF (SNCF Voyageurs, SNCF Réseau, SNCF Gares & Connexions, Rail Logistics Europe, etc.), a bouleversé cette organisation.
Chaque entité a pris en charge ses propres enjeux de communication sur les réseaux sociaux. La social room SNCF Voyageurs a été crée sous le nom de Social Hub. Elle s’est concentrée sur la relation client et l’information voyageur. De son côté, la communication du Groupe SNCF (Holding) s’est recentrée sur des missions d’image et d’influence :
- Valoriser le groupe SNCF dans sa globalité (international, logistique, fret, expertise ferroviaire…).
- Déconstruire les idées reçues sur la SNCF, en expliquant la réalité de ses activités.
- Accompagner la gestion des sujets sensibles sur le web.
Des crises marquantes qui façonnent la stratégie
Certaines crises ont profondément marqué l’organisation et façonné la manière d’aborder la gestion des réseaux sociaux :
- Les actes de sabotages sur les Lignes à Grande Vitesse (LGV) lors de l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 : Plusieurs actes de malveillance sur des câbles électriques a paralysé plusieurs lignes à grande vitesse, touchant des milliers de voyageurs, le jour même de l’ouverture des Jeux. La réactivité a été cruciale, avec une prise de parole rapide du président du groupe SNCF Jean-Pierre Farandou, et un soutien public notable, notamment à travers un dessin de Plantu mettant en avant le travail des cheminots.
- L’« affaire du chat » écrasé sous un TGV : Un chat s’étant réfugié sous un train a été écrasé lors d’un départ. Cette situation a suscité une vague d’indignation sans précédent, amplifiée par les réseaux et les associations de défense des animaux. Ce cas a illustré l’importance de comprendre les spécificités émotionnelles des sujets sur les réseaux sociaux : un chat, sur les web, n’est pas un animal comme les autres, c’est une figure émotionnelle qui génère une viralité immédiate.
L’enjeu des signaux faibles et de l’anticipation
Ces crises rappellent combien la capacité à détecter les signaux faibles est devenue essentielle. Certains sujets, a priori anodins, peuvent exploser en quelques heures sur les réseaux sociaux. La SNCF a mis en place une veille spécifique sur des thématiques sensibles comme :
- Le handicap
- Les questions de genre
- Les sujets politiques
- Le bien-être animal
Chaque alerte est évaluée en temps réel par un data analyst, en lien direct avec le Dirigeant National Communication de Crise (DNcom) du groupe SNCF. L’enjeu : s’autosaisir avant que la crise n’éclate au grand jour.
Employee advocacy et dirigeants sur les réseaux : une stratégie d’incarnation
La SNCF a également pris le virage de l’employee advocacy. Les cheminots sont nombreux à défendre spontanément leur entreprise sur les réseaux, certains rassemblant plus de 100 000 abonnés sur X (ex-Twitter). Ce dispositif est encouragé et animé par la direction de la communication et de la marque du groupe SNCF, sur le mode du volontariat.
En parallèle, l’entreprise mise sur l’incarnation des messages via ses dirigeants. Jean-Pierre Farandou, Président du Groupe SNCF, est particulièrement actif sur LinkedIn et dans une moindre mesure aujourd’hui sur X. Son compte génère régulièrement davantage d’engagement que les comptes institutionnels du Groupe. Ce choix d’une communication incarnée répond à une attente de proximité et d’authenticité, dans un contexte où les algorithmes favorisent les prises de parole personnelles.
Vers plus d’interactions en privé et plus qualitatif ?
Au-delà des crises, une évolution structurelle se dessine. La SNCF observe une baisse des volumes d’interpellations publiques sur les réseaux comme X, au profit de messages privés ou d’échanges sur WhatsApp. Le temps où les utilisateurs prenaient à témoin toute leur communauté semble s’estomper, au profit d’une relation client plus personnalisée.
Dans ce contexte, les réseaux sociaux deviennent moins le lieu d’une prise de parole de masse que celui d’un dialogue plus direct avec les voyageurs. Une mutation qui pousse le groupe SNCF à miser sur la qualité de l’interaction, tout en restant vigilante sur les enjeux d’image et d’influence.
Conclusion
La gestion de l’e-réputation à grande échelle est un défi permanent pour une entreprise comme la SNCF. Entre relation client, gestion des crises, veille sociétale, influence et advocacy, l’approche se veut aujourd’hui plus ciblée, plus humaine, tout en s’appuyant sur des outils de data et d’analyse en temps réel.
🎥 Pour plonger dans les coulisses de cette stratégie, je vous invite à découvrir l’intégralité de mon échange avec Licter dans la vidéo ci-dessous et sur Youtube :
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